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ILLUSION n.f. Du latin illusionem, dérivé du verbe ludere, signifie “jouer”, “se jouer de”. Il apparaît au début du XIIe siècle sous le sens de moquerie ou objet de ruse. (source : Le Petit Robert)
Sur la Place des Ternes, un rond point se forme, occupé par des fleuristes et des arbres s’élevant vers ciel. Au premier abord, cet espace semble être un lieu d’évasion face aux automobilistes omniprésents. Après s’être frayé un chemin à travers les vendeurs de pétales, la déception se fait sentir. Les arbres qui étaient si attirants sont cerclés au sol par des grilles métalliques, le gazon utopique est transformé par un béton froid parsemé de poteaux.
De la place, j’aperçois une masse
verte s’élevant vers le ciel. Des boîtes noires débordent de couleurs attirantes, m’inspirant vitalité et liberté. Je me précipite vers ce lieu, tel un refuge végétal, mais je tombe dans la consternation. La belle enveloppe verte se rétracte sur le ciel et m’enferme. Je cherche une fuite à cette pollution ambiante. La précipitation stridente des automobiles, l’affolement des feux me font perdre pied dans cette prison urbaine infernale. Je cherche un endroit où asseoir ma désillusion. Mais, aucune aide ne s’offre à moi, je suis enfermée dans l’illusion.
CENTRIFUGE adj. Du latin centrifugus, de centrum, centre, et fugere, fuir. Terme apparu au XVIIIe s. Qui tend à pousser loin du centre.(source : Le Petit Robert)
La place en rond-point est en plusieurs parties. On a tout d’abord un centre sans intérêt particulier. Ensuite, un anneau de circulation motorisé l’entoure avec un autre grand cercle qui forme le chemin piétonnier. Ces deux voies sont reléguées sur l’extérieur de ce cercle. La configuration et les aménagements du cœur de la place font qu’il est très peu visité et fréquenté. Toutes les mobilités ainsi que le dynamisme présent sur la place se retrouvent totalement éloignés du point central.
Cet ensemble de cercles pourvus de différents usagers fonctionne comme une grande toupie. Les piétons et les moteurs tournent sans cesse autour du centre d’inertie. La force de ce disque tournant emporte les différents usagers sur les bords où la masse urbaine se vide et se remplit à l’aide des rues adjacentes. Un équilibre naturel se forme alors entre l’agglutinement de l’humain et de la machine qui s’entassent chacun dans leurs anneaux.
MORCELER vb. De l’ancien français mors, vient du nom masculin morceau par l’intermédiaire de morcel, du latin (morceau) morsellus, diminutif de morsus, morsure. Crée au XVIe siècle (1573). (source : Le Larousse)
La Place des Ternes peut-être définie comme étant morcelée car elle est sectionnée par les voitures et par les piétons d’autre part. Les usages sont très marqués, et peu d’interconnexions sont possibles. Ce morcèlement entraîne très rapidement des problèmes lorsque l’un des acteurs de la place s’échappe de l’espace qui lui est attribué.
Cette place, pourtant située à quelques pas de l’une des plus belles avenues du monde, est un puzzle. Les usages
dirigent la place. Ce totalitarisme des rôles se fait par un cruel morcèlement de la place. Chacun doit se cantonner à l’espace qui lui est destiné. La place est discontinue, fragmentée en plusieurs pièces constituant un puzzle urbain. Ces frontières entre les tranches de la place sont si marquées qu’elles empêchent l’arrêt et la contemplation. Ainsi le potentiel de la Place des Ternes s’en trouve caché. L’heure n’est plus à la contemplation, mais au passage. Rapide passage et décomposition du lieu.
MENACE n.f. Du latin minacia, de minari, menacer, proprement être saillant, proéminent. Créé au Xe s. (880). Signe par lequel se manifeste ce qu’on doit craindre (de quelque chose). (source : Le Petit Robert)
La menace peut se ressentir mais ses facteurs peuvent être multiples. La place des Ternes est l’expression formelle de ce sentiment lié à la peur et à l’angoisse. Les artères bruyantes débouchent sur cette place, sur ce cœur, le cœur de la menace. Cette dernière est alimentée par le bruit des véhicules, la lumière des feux et l’agitation du trafic. Perdu au milieu de la place sans refuge, la menace ne cesse de tournoyer, tel un prédateur prêt à attaquer sa proie.
L’idée de menace engendre l’idée de crainte. La menace peut plonger l’individu dans un état presque second, où chaque bruit est amplifié, où chaque geste est plus rapide et où chaque lumière est plus intense. La menace démultiplie et transforme les ressentis, le rapport aux autres et le rapport à l’espace. Sur ses gardes, l’esprit est plus vif, plus concentré, prêt à réagir face à la menace, cette chose qui redouté mais qui n’arrivera peut être jamais …
Le bruit, les décibels se répètent, s’accentuent. Les lumières, agressives et spontanées me surprennent tel un animal sauvage figé face aux phares d’une voiture. Le jour et la nuit se confondent. A coups de flash, la lumière s’impose dans l’obscurité. L’agitation, la foule, les éléments me frôlent me percutent, presque. Je vacille, je titube, mais je tente de rester en équilibre. La fête semble ne jamais prendre fin. La fin ou le commencement. Rien n’est clair, tout est flou presque obscur. La nuit morcelée aveugle mes pensées et mes actions ne dépendent plus de moi. Moi, mais qui suisje ? Qu’est ce qui fait que je suis moi quand plus rien n’est sous contrôle ? Je marche sans savoir où je vais, ce que je vois, ce qui m’entoure. Les sons s’ajoutent, se multiplient, se répondent, s’entrechoquent. Une seule pensée : la fuite. Un obstacle, deux, trois, quelle est cette forêt urbaine qui m’empêche d’avancer mais qui me dirige soudainement vers le sol. Un sol froid et granuleux qui ne me rappelle pas la sensation de mes pas sur la piste de danse. Je suis immobile, recroquevillé au sol, me protégeant de cette agitation qui me semblait si accueillante et familière il y a encore quelques heures. Je suis seul, mais ce monde familier et menaçant m’encercle. Il est cinq heures du matin, les klaxons virulents ont remplacé les mélodies entrainantes. Les phares sont aveuglants. La convivialité centrifuge de la foule a été balayée par la présence des véhicules trop proches de mon refuge éphémère. Je retrouve peu à peu mes esprits encore imbibés d’alcool. Entre fête et danger l’illusion est totale mais conduit mon état de plénitude à une impression d’insécurité. Le vide me confronte au danger. Des
cabanes de fleuristes me tournent le dos et m’empêchent d’observer mon environnement. Quelle idée de créer des espaces de fête en un tel lieu ? Le temps passe, il est huit heures. Un groupe me paraissant familier, se dirige vers moi. Mon esprit quitte alors cette vie de noctambule. Je suis étudiant en architecture mais perdu dans cet espace.
Comprendre la ville pour mieux la concevoir est mon devoir. Cette nuit je l’ai expérimenté. Je me relève et mon esprit surplombe alors cet espace dangereux. Il s’éloigne ainsi de ce sol où les obstacles sont synonymes de menace. Mon esprit est donc en sécurité. Et si on avait des espaces refuge en surplomb du danger, des cocons suspendus hermétiques au danger extérieur. La nuit ne serait plus associée à la peur même pour ceux qui ne contrôlent plus rien. Il faut quitter la « ville menace », la remplacer, la transformer ou l’occuper autrement. La fête doit pouvoir se combiner avec l’espace urbain, elles doivent pouvoir se superposer. La fête doit s’élever au dessus du danger, le dominer. Il faudrait imaginer les bars dans les étages des bâtiments qui encerclent la place. Des passerelles permettraient de rejoindre la « Place des Ternes by Night », une succession d’espaces surélevés au dessus de la place des Ternes actuelle. Ces cocons légers seraient sans ouvertures sur l’extérieur et totalement insonorisées de manière à l’isoler totalement du reste de la ville. Aucun élément extérieur ne viendrait détériorer les pensées nocturnes des fêtards désinhibés. La fête se déroulerait en ce lieu, dégagé de toutes formes de danger. Les bars seraient tournés vers l’intérieur de la place, un cœur, un refuge où la foule déambulerait sans danger. Les ondes musicales prendraient le dessus sur le ronronnement des moteurs en contre bas. La lumière des phares glisserait sous les pas des fêtards.
Je suis un fêtard mais je suis safe.
FUIR, verbe du latin fugere, est un terme créé fin IXe siècle. Il exprime l'idée de s'éloigner à toute hâte pour échapper à quelqu'un ou à quelque chose de menaçant.
Les bruits aigus, perçants des voitures faisant le tour de la place, ainsi que les lumières incessantes des feux, nous accablent et rendent nerveux. La foule, le peu d'aménagements et de végétation sur cette place la rendent terne et peu accueillante. Les dangers dus à la circulation sont une excuse supplémentaire qui nous incitent à nous évader par les rues de part et d'autre.
Cette place carrefour n'évoque qu'un immense engrenage vivant où les mécanismes grinçants se mêlent à la chorale infernale et perpétuelle des moteurs. La vitesse et les lumières dispersées, s'approchant de manière alarmante, nous effraient et nous rappellent, à chaque instant, un danger continu. J'erre autour des obstacles de ce manège infini. Je veux échapper à cette toupie assourdissante, partir, m'enfuir, ne pas rester une seconde plus. Je cours, vacille, me fait entraîner par la danse incessante des phares. Le ballet des arbres, qui agitent leurs feuilles en se dirigeant avec hâte vers une issue où l'on pourra retrouver l'accalmie.